On prétend qu'André Malraux aurait dit
un jour : " le vingt-et-unième siècle
sera religieux ou ne sera pas ". On comprend cette
affirmation lorsqu'on observe la société
occidentale contemporaine. Malgré le règne
du temps, de la vitesse et du changement, malgré
la " société du spectacle "
chère à Guy Debord, les questions essentielles
demeurent. L'agitation contemporaine n'est qu'un divertissement
pascalien.
Ces questions n'ont pas d'âge, elle sont nées
avec l'Humanité : l'homme est devenu Homme quand
il a éprouvé ses premières interrogations
métaphysiques, lorsqu'il a découvert le
transcendant. Le transcendant est multiforme : il peut
être religieux, bien sûr, mais encore artistique,
ou philosophique
Le transcendant, ce qui devrait
être littéralement 'supérieur à
l'humain', représente en réalité
ce qu'il y a de plus humain, le génie, l'intelligence.
C'est parce qu'il était intelligent, parce qu'il
avait du génie, que l'homo sapiens sapiens -
" l'homme qui sait qu'il sait " - a cherché
à expliquer ce qu'il ne parvenait pas à
comprendre. C'est cette lueur de génie, ces premières
questions métaphysiques, qui ont donné
naissance au religieux, avec la création des
premiers rituels mortuaires, à l'art, avec les
peintures rupestres artistico-mystiques, et à
la philosophie, avec l'emploi toujours constant de la
réflexion personnelle.
Pour les archéologues, les premières interrogations
religieuses ont trente mille ans. Depuis trente mille
ans, le fait religieux s'est développé,
s'est complexifié. Les questionnements ont donné
naissance à des explications, des mythes, accompagnés
d'un rituel et d'une symbolique particuliers. Ces explications
religieuses elles-mêmes, ont donné naissance
à de véritables religions.
La société occidentale contemporaine est
l'héritière directe de la culture méditerranéenne.
C'est cette culture géographiquement délimitée
qui s'est peu à peu diffusée à
l'échelle mondiale, à la faveur des conquêtes
impériales ou coloniales. Or cette culture a
donné naissance à une forme particulière
de manifestation religieuse : le monothéisme,
la croyance non pas en un panthéon comme c'est
le cas dans la plupart des cultures mondiales, mais
en un seul Dieu. Trois grandes religions, trois grands
monothéismes ont vu le jour au sein de cette
culture méditerranéenne, ce sont les religions
juive, chrétienne, puis musulmane, considérées
dans leur sens le plus large, chaque religion représentant
en fait une réalité multiforme (il n'existe
pas à proprement parler une seule religion juive,
une seule religion chrétienne et une seule religion
musulmane).
Dans son acception moderne, la religion désigne
essentiellement une institution, une organisation sociale
qui structure la société en orientant
les individus. La religion est " l'attitude intellectuelle
et morale qui résulte de la reconnaissance par
l'être humain d'un pouvoir ou d'un principe supérieur
de qui dépend sa destinée et à
qui obéissance et respect sont dus, en conformité
avec un modèle social, qui peut constituer une
règle de vie " .
On remarque que le religieux est globalisant : alors
qu'historiquement, il n'est apparu que pour répondre
à certaines questions personnelles précises,
il s'est progressivement développé, il
a envahi tous les domaines du social pour devenir omniprésent
et même souvent omnipotent. Le religieux est devenu
la référence obligée pour chacun,
il ne sert plus à répondre à certaines
questions, tous les thèmes humains doivent être
mesurés à l'aune de la doctrine émanant
des institutions religieuses.
Les textes fondateurs des trois monothéismes
sont assez différents. La Bible juive, la Bible
chrétienne et le Coran, ces textes qui doivent
servir de support à tous les croyants pour orienter
leur existence et leurs comportements sociaux, ces textes
sont différents. Mais ces trois textes indiquent
des règles que chaque fidèle se doit de
respecter. En plus de ces règles concrètes,
les textes juif et chrétien présentent
des 'histoires', des saynètes souvent historiques,
visant à montrer les comportements que chacun
se doit d'adopter, la voie juste.
C'est ainsi que tout homme se définira à
travers les règles qui concernent dans les Textes
la gente masculine, à travers les exemples de
personnages masculins qui figurent dans les textes religieux.
L'Homme se définira ainsi à travers les
hommes des trois monothéismes. De la même
façon, la Femme se définira à travers
les femmes des trois monothéismes.
Mais c'est alors que surgit un écueil pour les
femmes. Les trois religions monothéistes sont
réputées " patriarcales " ;
ce sont des monothéismes, des religions à
Dieu unique, mais on affirme généralement
que ce Dieu unique est un " Dieu père ".
Les femmes modernes peuvent-elles se définir,
se retrouver, à travers les règles religieuses
patriarcales ou à travers des personnages comme
Eve la pécheresse, Dalila la traîtresse
ou Salomé la cruelle tentatrice ?
Les femmes modernes considèrent généralement
qu'elles ne peuvent adhérer à des religions
qui légitiment et instituent même la domination
masculine sur le Féminin. Elles refusent le statut
que ces religions leur réservent, un statut de
femmes toujours obéissantes au référant
viril, qu'il soit père, frère, époux
ou fils.
Dans la société moderne, les religions
monothéistes sont donc présentées
comme les créatrices et de ce fait les protectrices
de l'ordre patriarcal, de la domination masculine sur
les femmes. C'est pourquoi une sourde opposition s'est
engagée, une lutte féministe et féminine
pour la libération des femmes de l'emprise du
Viril a commencé. Cette lutte pour obtenir une
stricte égalité dans tous les domaines
entre hommes et femmes, vise bien sûr les institutions
religieuses, puisque ces dernières sont sensées
être les instigatrices du Patriarcat. Dans cette
logique, la suppression de toute domination masculine
conduira nécessairement à l'anéantissement
des trois monothéismes, puisque le Patriarcat
semble être un soubassement idéologique
essentiel dans ces religions.
Et pourtant, la domination masculine est-elle vraiment
inhérente et nécessaire aux trois monothéismes
? On peut douter de cette affirmation catégorique.
Il est au contraire possible de formuler l'hypothèse
que l'infériorité de la femme par rapport
à l'homme n'est pas un héritage du statut
de la femme issu des religions monothéistes,
mais résulte plutôt d'un fait historique
et culturel daté, qui a lui même conduit
à une interprétation particulière
et partiale des textes, interprétation aujourd'hui
remise en cause.
Il faudrait donc présenter une vision globale
de la question de l'infériorité de la
femme par rapport à l'homme. Un tel travail est
très vaste, il peut amener à des recherches
érudites sans fin. Pour le traiter d'une manière
vraiment scientifique, pour que l'étude soit
exhaustive, il faudrait connaître certaines langues
antiques, plonger dans la théologie pure, se
référer à une multitude d'ouvrages
souvent difficiles d'accès
On peut pourtant
tenter d'expliquer la domination masculine en limitant
les sources documentaires aux grands textes religieux
essentiellement, complétés par quelques
références à certains ouvrages
fondamentaux, comme le Talmud, le Midrash, le Zohar,
les recueils de hadiths, la Charia, ou les catéchismes
A l'aide de ces sources documentaires, nécessairement
réduites, il sera donc possible de présenter
un panorama global de la domination masculine, en trois
temps.
Il s'agira d'abord de montrer que la source de cette
conception réside dans le combat victorieux des
tenants du divin masculin sur les tenants du divin féminin,
un combat historiquement daté et géographiquement
situé.
Il faudra ensuite souligner la prégnance de ces
préjugés culturels qui conduiront à
l'avortement des mouvements de libération de
la femme - mouvements pourtant limités - mis
en uvre par les trois monothéismes naissants.
Il s'agira enfin d'évoquer la reféminisation
contemporaine du religieux, exigée et progressivement
obtenue par les femmes contemporaines émancipées.
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